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DES PASSEURS AU SECOURS DES ÉVADÉS...  Michel KASTLER

par Philippe SCHULTZ

Rappelons le contexte. En 1940, l’Alsace et la Moselle sont annexées au Reich allemand, ce qui distingue ces régions de la France sous occupation allemande. Il existe donc une frontière entre l’Allemagne nazie, dont fait désormais partie l’Alsace, et la France occupée : les Vosges.

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Pour de nombreux officiers et soldats français, prisonniers des Allemands depuis l’armistice de juin 1940, l’évasion de leur captivité en Allemagne constitue l’objectif principal. Il en est de même pour les militaires anglais ou d’autres nationalités, retenus en Allemagne et qui espèrent regagner leur pays. Or, pour quitter l’Allemagne et rejoindre le territoire occupé de la France, il est nécessaire de traverser le Rhin, puis la plaine d’Alsace et, enfin, le massif vosgien. Compte tenu de l’étroite surveillance militaire et policière de la frontière, le risque d’être reconnu et passé par les armes est grand.

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Raymond Reihlé, Barrois de naissance, publie dès 1946, dans la revue Cigognes*, un reportage qui présente quelques-uns de ces hommes qui se sont dévoués à cette cause, en s’intégrant comme maillon dans la grande chaine des passeurs d’Alsace. Par ailleurs, un entretien avec André Kastler, dans les années 1990, a permis à l’auteur de cet article de compléter ses informations sur le sujet.  

 

La question d'organiser des réseaux permettant de percer cette frontière à l'insu des Allemands se posa très rapidement, d'autant que des hommes comme Ostermann et Staehly, de Souffelweyersheim ou encore un dénommé Nuss de Duttlenheim, prirent en charge des prisonniers français évadés d'Allemagne, afin de leur faire franchir le Rhin.

Michel KASTLER et son fils André

Le réseau du secteur de Barr s'organisa autour de Charles Friess, fermier aubergiste occupant l'ancienne maison forestière du Landsberg. Friess, qui était originaire de Strasbourg, avait eu des déconvenues avec l'occupant, notamment à cause d'un habitant bien connu du Hohwald, que les sentiments pro-allemands avaient conduit à des fonctions importantes auprès du Kreisleiter à Sélestat. Etabli avec son épouse à la Métaierie du Hohwald, Friess dut quitter ces lieux et put trouver refuge, grâce à la Baronne de Turckheim, dans l’ancienne maison forestière, au pied du Landsberg. Mais Friess n'était pas seul. Il pouvait compter sur d'autres hommes de valeur, notamment Auguste Wust, fermier-aubergiste à la Chaume des Veaux (Hohwald) et Michel Kastler, garde-chasse, de Barr.

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Michel Kastler était un patriote inconditionnel. Déjà durant la première guerre mondiale, alors qu'il ne parlait pas un mot de français, il avait déserté les troupes allemandes en se faufilant à travers les lignes pour se réfugier dans une tranchée française ! Profondément attaché à la nature, il occupait la fonction de garde-chasse, ce qui lui permit, mieux que quiconque, de connaître la forêt de Barr.

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Dès début 1942, Kastler s'occupait de prisonniers évadés d'Allemagne. Après leur arrivée dans la maisonnette familiale de la Vallée, Michel Kastler les accompagnait vers la frontière. Certains prisonniers devaient se présenter à l'auberge du Landsberg afin que Friess puisse les cacher dans un premier temps, puis organiser leur transfert outre Vosges. La procédure était simple, mais combien dangereuse. Dès l'arrivée à l'auberge, un mot de passe à l’exemple de "Je viens vous dire le bonjour de René" ou « 4 et 5 font 11 » était de rigueur. Puis, Friess contactait ses complices et le transfert s'organisait par l'une des voies, soit par Natzwiller, Schirmeck, le Donon pour arriver à Raon sur Plaine, soit par le Hohwald, Solbach, Schirmeck, Fréconrupt, également à destination de Raon, ou encore par le Hohwald et le Climont, vers Lubine.

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Pour Michel Kastler, la destination usuelle était Fréconrupt, en passant par Natzwiller, à proximité du camp de concentration du Struthof, puis Schirmeck. Le départ de Barr se situait souvent autour de midi pour arriver à Fréconrupt vers 20h30. Ce long trajet était souvent effectué pour un seul prisonnier, mais Kastler amena ainsi jusqu'à 7 hommes simultanément ! Une autre fois, ce fut le tour de 3 Polonais. L'itinéraire passait par le Struthof où, bien souvent, les groupes croisaient les wagons chargés de pièces mécaniques destinées au travail des prisonniers du sinistre camp. Le retour, dans la nuit, se faisait par la Rothlach. Le bâtiment de l'actuelle maison forestière, inoccupé à cette époque, servait alors d'abri pour un court moment de repos avant d'entamer les deux dernières heures de marche vers Barr. Souvent, la pluie et le vent rendaient le trajet très éprouvant. Mais le garde-chasse avait un don particulier d'orientation dans cette forêt dense et austère.

STAEHLY de Souffelweyersheim

Charles FRIESS, son épouse et Michel KASTLER

Les parcours usuels des passeurs du secteur de Barr

A partir de 1943, Michel Kastler se fit souvent accompagner de son fils André. Les courses devenaient de plus en plus dangereuses et une vigilance particulière était de rigueur. Jusqu'au Champ du Messin, Michel Kastler pouvait, en cas d'un contrôle de Gendarmerie, justifier sa présence, la forêt de Barr s'étend en effet jusqu'au pied du Champ du Feu. Au-delà, toutefois, le risque devenait plus grand et il eut été difficile de trouver une explication.

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Par miracle, ces passages, une centaine de prisonniers au total, se déroulèrent sans grands accrocs. Un jour pourtant, Michel Kastler, accompagné de son fils André alors âgé de quinze ans, passèrent un évadé nommé Gabriel. Soudain, les trois hommes furent rattrapés par un Allemand qui, à bord d'une moto DKW, se dirigeait vers la Chaume des Veaux. Sans doute impressionné par les trois hommes, le soldat poursuivit sa route afin, peut-être, d'alerter ses collègues rassemblés à la Chaume des Veaux. L'équipe modifia donc son itinéraire et échappa vraisemblablement à une arrestation. Mais Kastler n'était pas homme à reculer devant l'adversité et n'aurait à aucun moment hésité à faire usage de son arme.

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Petite anecdote, pour éviter d'être repéré par les chiens des gardes-frontières, Michel Kastler avait le secret d'un puissant répulsif avec lequel il enduisait ses chaussures !

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De temps en temps, la ligne put être traversée grâce à la complicité d'un garde-frontière allemand. A travers des informations reçues préalablement, Kastler savait quand et où passer. Le prix était néanmoins fort. 100 Marks, le salaire mensuel du garde-chasse, durent être payés par homme passé, en contre partie du silence du soldat, sans compter quelques vivres et un peu de tabac haché destinés à lui servir de monnaie d'échange que Kastler remit généreusement à chaque évadé, s’ils n’étaient pas utilisés sur le parcours.

 

Les convictions de Michel Kastler ne s'ébranlèrent pas pour autant. Le marché noir et en particulier le produit de la vente des peaux de renard et de martre, échangées contre de la viande ou des céréales, permirent au passeur de s'assurer des revenus suffisants afin de poursuivre ses actes de bravoure ! Même le "Bauernführer", chef barrois de la section paysanne du parti nazi, contribuait, malgré lui, à la réussite de ces transactions, en achetant de temps à autre une pièce de viande, "au noir" !

Auguste WUST de la Chaume des Veaux

Garde-frontière allemand et son chien

Fin 1943, les passages devenaient quasiment impossibles, tant la frontière était gardée massivement par l'occupant. Ainsi, un des prisonniers séjourna près d'une année entière chez les Kastler, à charge de la famille et à l’insu des voisins. Ce n'est que vers la fin de la guerre, alors que les Allemands furent contraints à dégarnir les frontières pour concentrer leurs troupes sur les différents fronts, que les passeurs purent quelque peu reprendre leur activité.

 

Un jour, les Kastler eurent la visite d'un groupe de Gendarmes souhaitant enquêter sur le garde-chasse Gresser d'Andlau, dénoncé pour abattage clandestin. Au dernier moment, un prisonnier évadé put se cacher sous les combles. Le danger devenait alors énorme et il fallut évacuer l'intéressé, pour quelques jours, dans la tour du Landsberg. Une autre fois, le responsable des gardes forestiers, Kurtz, un nazi, interpella Kastler lors d'une battue. L'épouse d'un garde forestier du secteur avait, en effet, dénoncé Kastler auprès des autorités pour sa désertion lors de la première guerre mondiale. Kastler ne dut son salut qu'à ses compétences indiscutables et sa notoriété. Il est vrai que les gardes forestiers étaient bien souvent de fervents adeptes du parti, tant leur fonction était valorisée par les Nazis.

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Ainsi, en de nombreux endroits d'Alsace, des hommes comme Kastler, Friess et Wust permirent à des centaines d'évadés de regagner la France. Eux aussi ont mérité d'être cités, même si, après-guerre et par discrétion sans doute, ils ne portèrent pas toujours au grand jour leurs actes de courage.

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Michel Kastler, né à Westhoffen, le 18 juillet 1895 est mort à Barr, le 4 décembre 1971. Son fils André, né à Barr le 12 novembre 1927, est décédé à Barr, le 28 septembre 2010. Il exerçait le métier de garagiste, rue du Gal Vandenberg à Barr.

Vers l'objectif !

*Sources : CIGOGNES, Grande revue illustrée de la famille, Edition bilingue – Strasbourg – rue de la Nuée Bleue, n° 4 du 10 mars 1946. Extraits et synthèse à partir des articles en langue allemande de Raymond Reihlé et photos.

Entretien avec André KASTLER (années 1990) 

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