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Le Journal de Jean-Eugène MOCK

Claudine WOLF, née MOCK, et Danielle MOCK, arrière-petites-filles de Jean-Eugène MOCK

Philippe SCHULTZ et Christian SCHMITTHEISLER

photo Claudine Wolf

Un témoignage poignant et exceptionnel !

 

Le Journal de Jean-Eugène MOCK, rédigé à Barr entre 1914 et 1918, est un témoignage poignant sur la vie quotidienne d’une famille alsacienne durant la Première Guerre mondiale.

 

Retrouvé par hasard par deux de ses descendantes en 2025, il décrit avec force les privations, les incertitudes, la pénurie d’informations fiables, l’angoisse des proches envoyés au front et la douleur immense de la perte d'un être cher. À travers le regard d’un père confronté à l’absurdité du conflit, ce texte révèle l’impact humain et moral de la guerre sur la population civile.

 

Ce document précieux donne voix à ceux que l’Histoire officielle oublie trop souvent : les silencieux, les endeuillés, les survivants. Découvrez ici la version intégrale de ce document rédigé au jour le jour, en français, par Jean-Eugène MOCK.

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photo IA

Analyses et commentaires du texte de Jean-Eugène MOCK, par Barr Mémoire et Traditions

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photos IA

Jean-Eugène MOCK apprend la disparition brutale de Karl (appelé usuellement Charlot), l'un de ses trois fils, à quelques semaines seulement de la fin de la guerre.

6 Grand-rue à Barr - Maison MOCK

Page 1 du manuscrit de J-E MOCK

Plaque commémorative

Vers nos autres pages traitant de la Première Guerre mondiale

Jean-Eugène MOCK et la question du ravitaillement (commentaires et résumé)

 

Dès le début de la guerre, le Dr Hecker, maire de Barr, anticipa les pénuries en constituant d’importants stocks de denrées de base — légumes secs, huile, margarine, saindoux, farine — entreposés à l’hôpital. Ces réserves s’avérèrent précieuses lorsque les produits essentiels vinrent à manquer. Le jardin de l’hôpital permit de nourrir les malades et d’organiser une soupe populaire accueillant jusqu’à 300 personnes.

Mais dès 1915, la situation s’aggrava. Le rationnement se durcit : le pain fut progressivement coupé avec des farines de pomme de terre, d’avoine ou d’orge, le rendant « de plus en plus mauvais ». Son prix monta de 1,20 à 1,32 Mark, et le « pain de cochon » rendait certains malades.

Les contrôles se renforcèrent : les moulins furent surveillés, les paysans ne purent garder qu’un quintal de céréales, et les boulangers durent déclarer leurs stocks. Les prix de la viande furent fixés, et des jours sans viande imposés.

Dès 1915, apparurent les cartes de rationnement : pain limité à 250 grammes par jour ; lait entier et crème interdits en pâtisserie ; café et chocolat rationnés[1]. En 1916, une carte de sucre fut introduite, puis une carte de viande en 1917, réduisant la consommation à 200 grammes par semaine, puis à 150. Les habitants durent se contenter d’une maigre ration de pommes de terre et d’un hareng par mois, souvent hors de prix.

Les réserves de pommes de terre s’épuisèrent vite, poussant la population à cultiver légumes et tubercules sur tous les terrains disponibles. La consommation d’alcool fut restreinte, et la pénurie de chaussures imposa le retour aux sabots. La faim devint si criante qu’il fallut étendre les soupes populaires.

Les prix flambèrent : la livre de bœuf passa de 1 Mark en 1915 à 2,50 en 1916 ; le vin, le schnaps[2], le café et les œufs devinrent inabordables. L’huile de lin, indispensable aux peintres, passa de 0,65 Mark les 100 litres à 7,10 Mark le litre.

En 1918, le ravitaillement menaça de s’effondrer. Les paysans livraient leurs produits à contrecœur ; le mécontentement grandissait ; les semaines sans viande se multipliaient, et le marché noir prospérait, réservé aux plus aisés.

 

[1] Le café est ensuite remplacé par de l’orge torréfié, les coques de noix, ou les glands de chêne grillés, le tout assaisonné parfois de goudron de houille. Toutes sortes d’Ersatz apparaissent comme la saccharine dérivée d'un hydrocarbure qui remplace le sucre. Le savon manquant a été remplacé par d’anciennes formules de détergent à base de cendres de bois, etc.

[2] Si la bière est la boisson de prédilection du soldat allemand, il apprécie de disposer d’une petite réserve de Schnaps, car sa consommation quotidienne est bien ancrée dans les mœurs d’avant-guerre, surtout à la campagne. Le recours à ce type de boisson l’aide à supporter les mauvaises conditions climatiques et s’utilise comme remède aux petits maux de santé.

Jean-Eugène MOCK sur les réquisitions et le pillage organisé des ressources (commentaires et résumé)

 

Pour soutenir l’effort de guerre, les autorités allemandes mirent en place un véritable pillage organisé des ressources de la ville. Prévoyant l’arrivée des troupes, le maire, Dr Hecker, réquisitionna toutes les salles disponibles — auberges, restaurants, salles de gymnastique, mairie, cercle catholique — transformées en dortoirs garnis de paille pour accueillir jusqu’à neuf cents hommes. En 1916, son successeur, le Dr Gerst, tenta de récupérer ces espaces pour rouvrir les écoles, offrant en échange un bâtiment d’usine.

Les stocks des boulangeries fermées furent saisis dès la mobilisation. La population fut invitée à ramasser faines, marrons, fruits d’églantiers et noyaux, utilisés pour produire de l’huile ou compléter l’alimentation. Les betteraves sucrières furent envoyées au bétail, et les paysans forcés de céder leurs surplus de semences. En 1918, même le bois de vigne fut arraché pour nourrir les chevaux.

Le cuir, indispensable aux équipements militaires et aux harnais, fut entièrement réquisitionné[1]. La soif de métal devint insatiable : on démonte cloches[2], tuyaux d’orgue, gouttières, paratonnerres. Les habitants furent priés d’échanger leur or contre de simples billets. Jean-Eugène Mock raconte la saisie de la batterie de cuisine, des alambics, lessiveuses, casseroles et chandeliers. Même la ville dut souscrire aux emprunts de guerre[3].

On s’empara aussi des récipients en cuivre, des pneus de bicyclettes, des courroies d’usines. Les habitants durent livrer chaussures usées, objets en liège, orties[4], tout ce qui pouvait encore servir. Dans les villages alentour, on réquisitionna les bêtes à cornes, aggravant la pénurie de lait et plongeant la population dans une détresse toujours plus profonde.

Sous le poids de ces prélèvements incessants, la vie devint plus rude, plus incertaine. Soumise à un ravitaillement impitoyable et à une censure sévère, la population vit son moral s’effondrer. Ces années de réquisitions mirent à nu la dureté implacable de la guerre.

 

[1] Les nombreux cordonniers barrois en sont réduits à travailler avec des chutes de cuir.

[2] Les cloches de l’église protestante purent être récupérées après la guerre. En revanche, celles de l’église catholiques ne furent jamais retrouvées.

[3] Notamment en utilisant des fonds initialement destinés à la construction d'une nouvelle église catholique. 

[4] Suite à la pénurie de coton, l'armée allemande a utilisé des fibres d'ortie pour confectionner ses uniformes. Cette matière première a ensuite été abandonnée des ressources pour l'habillement, avant de faire sa réapparition récemment, notamment en France.

Jean-Eugène MOCK et son rapport à Dieu (commentaires et résumé)

 

Jean-Eugène Mock dévoile aussi sa relation profonde et tourmentée à Dieu, empreinte de foi, de colère, voire d’ironie. Ce rapport complexe évolue au fil des pages, à mesure que s’accumulent les souffrances et les pertes.

Au début du conflit, Mock exprime une confiance modérée en Dieu. Il cherche dans la foi un appui pour supporter les épreuves, tout en gardant une distance critique face aux discours religieux de son époque. Il écrit par exemple : « Mais c’est en Dieu qu’il faut avoir confiance, disent les uns, soient-ils de grands hommes. » Ces mots montrent qu’il ne rejette pas la foi, mais reste lucide sur la manière dont elle est utilisée, parfois à des fins politiques.

Il critique également ceux qui manipulent Dieu à des fins politiques. À propos de Bismarck, il écrit : « Bismarck a dit : ‘Nous autres Allemands ne craignons sur cette terre personne, et rien que Dieu.’ Pourquoi craignait-il Dieu, lui, Bismarck ? Sans doute il avait ses raisons. Moi je lui réponds, moi je ne crains pas Dieu, mais sur cette terre les méchants hommes, les faussaires de dépêches. » Cette déclaration souligne la lucidité de Mock : pour lui, ce sont les hommes, non Dieu, qui sont à craindre, surtout lorsqu’ils se servent de la religion pour masquer leurs ambitions.

À cela s’ajoute une ironie amère envers les discours officiels, notamment ceux des autorités allemandes qui invoquent Dieu pour justifier la guerre. Mock se moque des prières comme « Gott schütze unsere Truppen » (Dieu protège nos troupes), qu’il juge hypocrites. Il s’indigne aussi du sort réservé aux cloches d’église, autrefois appelant à la prière, désormais fondues pour fabriquer des canons : « Pauvres cloches, vous à qui votre heureuse destinée était d’appeler les fidèles à la prière dans un lieu saint, voilà que votre destinée est de tuer, de massacrer ce même monde, son prochain. »

Cependant, plus la guerre progresse, plus sa douleur prend le dessus. Lorsqu’il perd son fils cadet, Charlot, en 1918, il laisse éclater sa révolte. Il écrit avec indignation : « Et le bon Dieu peut voir cette grande tuerie, ce grand meurtre ? Ce même bon Dieu peut voir encore comme ces Teutons détruisent et violent des pays entiers – ces peuples de barbares, ces voleurs de grands chemins, etc. » Cette interrogation tragique montre combien la foi de Mock est ébranlée. Il ne comprend pas comment Dieu peut rester silencieux devant tant d’injustice.

Pourtant, malgré sa révolte, Mock ne renonce jamais complètement à sa foi. Dans ses moments de doute, il continue de s’adresser à Dieu, avec l’espoir qu’une justice divine finira par s’imposer. Il écrit ainsi : « Notre bon Dieu va-t-il bien se réveiller et tirer l’oreille à cet empereur, qui se nomme ‘Saint Empereur’ et qui se sent appeler à représenter Dieu, Jésus et Saint Esprit, etc. » On sent dans ces mots une espérance persistante, fragile mais tenace, que le mal sera puni et que la vérité triomphera.

Le rapport de Jean-Eugène Mock à Dieu reflète ainsi les tourments d’un homme pris dans une guerre qu’il n’a pas choisie. Tantôt refuge, tantôt figure silencieuse, Dieu devient pour lui un miroir de ses luttes intérieures. À travers ses doutes, sa colère, ses prières et son ironie, Mock nous offre un témoignage profondément humain, où la foi vacille mais ne s’éteint jamais. Ce dialogue constant avec le divin montre combien, même dans les heures les plus sombres, l’homme continue de chercher un sens, une lumière, un espoir.

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