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Le grand conflit forestier entre BARR et 4 communes
contre la la Ville de Strasbourg
(1736-1838)

par Philippe SCHULTZ

L'enjeu : la forêt du Hohwald

Nous vous invitons à découvrir l'histoire fascinante du procès de la forêt de Hohwald, un conflit juridique qui a duré plus d'un siècle, de 1736 à 1838, impliquant les communes de Barr, Heiligenstein, Gertwiller, Goxwiller et Bourgheim, qui constituaient avant la Révolution la Seigneurie de Barr, contre la ville de Strasbourg.

La vidéo vous permet de comprendre l'essentiel, en moins de 5 minutes !

Les amateurs pourront, par la suite, se reporter au texte ci-dessous.

Les grandes étapes du conflit et des phases judiciaires

En 1789, Strasbourg avait restitué cette forêt à Barr et à ses communes associées, mais cette restitution a été contestée et a donné lieu à une longue série de procès.

Contexte historique et début du conflit

Le conflit avait commencé bien plutôt, en 1736, entre Strasbourg, le seigneur féodal de Barr, et les communes de Barr, Gertwiller, Heiligenstein, Goxwiller et Bourgheim formant la Seigneurie de Barr. En 1755, 1760 et 1763, des décrets du Conseil d'État royal ont attribué une partie de la forêt à Strasbourg et une autre partie aux communes. En 1789, la Révolution française a conduit à la restitution de la forêt arrière aux communes, mais cette décision a été contestée par Strasbourg.

 

Procédures judiciaires et décisions

En 1792, Strasbourg a intenté une action en justice pour annuler la restitution de 1789. En 1793, le tribunal de Sélestat a rendu un jugement en faveur de Strasbourg, mais cette décision a été annulée par un tribunal d'arbitrage en 1793. En 1798, la Cour de cassation a déclaré toutes les procédures précédentes nulles et non avenues.

 

Interventions administratives et nouvelles contestations

En 1803, le préfet du Bas-Rhin Shée a émis un décret rétablissant Strasbourg dans la possession de la forêt arrière, ce qui a été contesté par les communes. En 1823, le Conseil d'État a annulé ce décret, renvoyant l'affaire devant les tribunaux ordinaires.

 

Jugements et appels

En 1824, le tribunal de première instance de Sélestat a rendu un jugement en faveur des communes, attribuant la forêt arrière à Barr et aux communes associées. Strasbourg a fait appel de cette décision, et en 1827, la Cour d'appel de Colmar a ordonné une instruction écrite du procès.

 

Tentatives de règlement à l'amiable et poursuite du procès

Des tentatives de règlement à l'amiable ont été faites en 1829 et 1833, mais elles n'ont pas abouti. En 1836, la Cour d'appel de Colmar a rendu un jugement en faveur de Strasbourg, attribuant la forêt arrière à la ville et rejetant les demandes de dommages-intérêts des communes.

 

Recours en cassation et fin du procès

En 1837, les communes ont formé un recours en cassation contre le jugement de la Cour d'appel de Colmar. En 1838, la Cour de cassation a rejeté le recours, confirmant ainsi la décision de la Cour d'appel et attribuant définitivement la forêt arrière à Strasbourg.

 

Conséquences et réflexions

Le procès a eu des conséquences financières importantes pour les communes, qui ont dû supporter des coûts de procès élevés. Le maire Jean-Jacques Dietz, profondément affecté par la défaite, est décédé en 1839. Le conflit a mis en lumière les difficultés des petites communes à lutter contre des entités plus puissantes et a souligné les enjeux de la propriété foncière et des droits d'usage des forêts.

La forêt de Strasbourg au Hohwald

Plan - archives de la Ville de Strasbourg et de l'Eurométropole (3 PL 23)

Les principaux acteurs du litige

Voici l'ensemble des acteurs impliqués dans le procès, en particulier dans les 30 dernières années :

  1. Communes de Barr, Heiligenstein, Gertwiller, Goxwiller et Bourgheim :

    • Maire de Barr : Jacques Dietz, qui a joué un rôle central dans la contestation. Il représente Barr et les quatre communes. C'est lui qui engage les procédures, négocie avec les avocats et les experts. Il tente une négociation avec le maire de Strasbourg de Türckheim, sans résultat.

    • Conseil Municipal de Barr : Membres du conseil qui ont soutenu les démarches juridiques.

    • Maires des autres communes : Hellmann (Heiligenstein), Grucker (Goxwiller), Kräutler (Gertwiller), Straub (Bourgheim).

  2. Ville de Strasbourg :

    • Maires de Strasbourg : Plusieurs maires successifs, dont de Kentzinger et de Türckheim, qui ont défendu les intérêts de la ville

  3. Préfets :

    • Préfet Shée : Auteur du décret contesté du 29 juillet 1803.

    • Préfet Esmangard : A proposé une médiation entre les parties.

    • Marquis de Lezay-Marnésia : Successeur de Shée, a continué à gérer les aspects administratifs du conflit.

  4. Avocats et Juristes :

    • Guichard : Avocat des communes, a préparé et présenté le dossier devant le Conseil d'État.

    • Dupin et Darrieux : Avocats parisiens consultés par les communes.

    • Blétry, Antonin et Oberlend : Avocats représentant les communes devant le tribunal de première instance et la cour d'appel de Colmar.

    • Raspieler et Wilhelm : Avocats représentant la ville de Strasbourg.

    • Latruffe-Montmeylian : Avocat des communes devant la Cour de cassation.

  5. Experts Juridiques :

    • Professeurs Warnkönig et Michaelis : Consultés pour donner leur avis sur l'interprétation des documents historiques.

    • Drion : Juge à Wissembourg, a aidé bénévolement les communes.

  6. Conseil d'État :

    • Membres du Conseil d'État : Ont examiné le recours des communes et annulé le décret du préfet Shée le 7 mai 1823.

  7. Tribunal de Première Instance de Sélestat :

    • Juges du Tribunal : Ont rendu un jugement en faveur des communes le 31 août 1824.

  8. Cour d'Appel de Colmar :

    • Président Millet de Chevers : A présidé la cour d'appel et a influencé le jugement en faveur de Strasbourg.

    • Juges de la Cour d'Appel : Ont rendu un jugement en faveur de Strasbourg le 17 décembre 1836.

  9. Cour de Cassation de Paris :

    • Juges de la Cour de Cassation : Ont rejeté le recours des communes en juin 1838, rendant le jugement de la cour d'appel définitif.

 

En résumé, le procès a impliqué les autorités locales des communes concernées, les représentants de la ville de Strasbourg, plusieurs préfets, des avocats et juristes, des experts juridiques, ainsi que les membres des différentes instances judiciaires, du tribunal de première instance à la Cour de cassation.

Jean-Jacques DIETZ, maire de Barr
1815 et 1816 à 1839

Jean-Frédéric Hermann
maire de Strasbourg (1800 à 1805)

Fançois-Xavier Antoine de Kenzinger
maire de Strasbourg (1815 à 1830)

Jean-Frédéric de Türckheim
maire de Strasbourg (1830 à 1835)

Les principaux points de désaccord entre les parties

Propriété de la Forêt :
En 1789, pendant la Révolution française, Strasbourg avait restitué la forêt aux communes, mais cette restitution fut contestée par la ville, qui affirmait que la forêt faisait partie de la seigneurie de Barr, achetée aux frères Ziegler en 1566 et 1568.

Les communes revendiquaient légitimement la propriété exclusive de la forêt, arguant qu'elles en avaient toujours été les propriétaires légitimes.

Validité des Titres de Propriété :
Strasbourg contestait les titres des communes, les considérant comme des droits d'usage plutôt que de propriété.
Les communes présentaient divers documents historiques pour prouver leur droit de propriété exclusif.

Acte de Restitution de 1789 :
Strasbourg affirmait que cet acte était le résultat de la coercition pendant la Révolution et qu'il était nul.
Les communes considéraient l'acte comme légitime et définitif.

Interprétation des Documents Historiques :
Strasbourg interprétait les documents comme confirmant son droit de propriété.
Les communes les interprétaient comme prouvant leur propriété exclusive.

Décision du Préfet en 1803 :
Strasbourg se basait sur un décret de 1803 rétablissant la ville dans la possession de la forêt.
Les communes contestaient ce décret, annulé par le Conseil d'État en 1823.

Le Dr Frédéric HECKER apporte son analyse critique

Dans son ouvrage "Die Stadt BARR von der Französischen Revolution bis auf usere Tage" (1911), Frédéric Hecker, maire de Barr de 1912 à 1920,  consacre une chapitre important sur ce litige et ses différentes phases judiciaires (pages 177 à 226).

HECKER exprime une opinion critique à l'égard des juges, en particulier ceux du tribunal d'appel de Colmar, et met en lumière plusieurs points de mécontentement :


Partialité et Influence : L'auteur souligne que le président du tribunal d'appel de Colmar, M. Millet de Chevers, a montré une "offenkundige Sympathie" (sympathie manifeste) pour la ville de Strasbourg. Il est accusé d'avoir influencé les autres juges en faveur de Strasbourg, ce qui a contribué à un jugement défavorable pour les communes de Barr.


Conflit d'Intérêts : L'auteur mentionne que Millet de Chevers avait une relation personnelle avec le maire de Strasbourg, M. Kentzinger, ayant partagé des expériences communes pendant la Révolution et l'exil. Cette relation personnelle est perçue comme ayant biaisé son jugement.


Remplacement des Juges : Il est noté que Millet de Chevers a remplacé certains juges qui étaient favorables aux communes par d'autres juges plus favorables à Strasbourg, ce qui est vu comme une manipulation du processus judiciaire.


Conseils Juridiques : L'auteur rapporte que les avocats des communes ont conseillé de ne pas porter plainte contre Millet de Chevers, car sa position était trop influente et une telle action aurait probablement été infructueuse.


Résultat du Procès : Le jugement final du tribunal d'appel de Colmar, qui a été défavorable aux communes, est perçu comme étant en grande partie dû à cette partialité et à cette influence indue.

 

En résumé, l'auteur critique sévèrement les juges, en particulier le président du tribunal d'appel de Colmar, pour leur partialité, leur influence indue et leurs conflits d'intérêts, qui ont conduit à un jugement perçu comme injuste et défavorable aux communes de Barr.

Dans les années 1860, deux documents importants ont été découverts, ce qui aurait pu, selon HECKER, potentiellement favoriser les communes si le procès avait été relancé. Voici comment il explique cette possibilité :

  1. Le Livre de la Commune de Heiligenstein : Ce document, trouvé dans le grenier du presbytère protestant de Heiligenstein en 1868, contenait des enregistrements du 15ème siècle. Parmi ces enregistrements, il y avait une décision arbitrale de 1475 qui mentionnait que la forêt était appelée "les forêts communes" et que les habitants de Gertwiller et Heiligenstein devaient être informés des coupes de bois par les habitants de Barr. Cela suggérait un droit de propriété commun sur la forêt, ce qui aurait pu renforcer la position des communes.

  2. L'Inventaire de Niklaus Ziegler : Ce document, rédigé par Niklaus Ziegler en 1525, listait les revenus de la seigneurie de Barr, y compris le droit de chasse dans toutes les forêts de la seigneurie. Bien que ce document ne mentionne pas explicitement la propriété exclusive des forêts par les communes, il n'exclut pas non plus cette possibilité, laissant une certaine ambiguïté qui aurait pu être exploitée en faveur des communes.
     

L'auteur souligne que ces documents auraient pu fournir des preuves supplémentaires pour soutenir les revendications des communes. Cependant, il reconnaît également que la loi française de l'époque exigeait que les nouveaux documents découverts soient prouvés comme ayant été dissimulés de manière frauduleuse par la partie adverse, ce qui n'était pas le cas ici. De plus, la prescription trentenaire en 1879 aurait de toute façon rendu toute nouvelle action en justice impossible.

En résumé, l'auteur pense que ces découvertes auraient pu renforcer la position des communes, mais il admet que les obstacles juridiques et les exigences de preuve auraient probablement empêché une relance réussie du procès.

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sources : 
"Die Stadt BARR von der Französischen Revolution bis auf usere Tage" (1911), Frédéric Hecker
Archives de la Ville et de l'Eurométropole de Strasbourg

Photos actuelles : Philippe SCHULTZ (janvier 2025)

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