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Adélaïde HAUTVAL, Juste parmi les nations

par Philippe SCHULTZ

Marthe Adélaïde Haas, surnommée Haïdi, est née au Hohwald le 1er janvier 1906. Adélaïde est le 7ème enfant de la famille du Pasteur de l’Eglise réformée d’Alsace-Lorraine Philippe Haas qui, par sentiments pro-français, décidera de rajouter à son patronyme le nom Hautval [1]. L’influence du Hohwald dans ce choix ne fait pas de doute. Elle ne sera toutefois autorisée à porter le nom Hautval, qu’à partir de 1951 [7]. Dès 1910, la famille s’installe à Guebwiller où Haïdi suit sa scolarité primaire et secondaire [4].

Une vocation médicale et un engagement précoce

 

Adélaïde fait ses études de médecine à Strasbourg. Elle travaille ensuite dans des hôpitaux et des instituts neuro-psychiatriques en Alsace et en Suisse [1][2]. Avec son frère Emmanuel, ils fondent un établissement privé pour enfants en difficultés au Hohwald, entre 1933 et 1936 : « les Hirondelles » [11].

Eglise et presbytère du Hohwald

Les Hirondelles - Le Hohwald

Un destin basculé par la guerre

En 1939, une bonne partie de la population Alsacienne est évacuée. Adélaïde se retrouve en Dordogne puis à Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées. A partir de décembre 1941 elle est médecin psychiatre à l'hôpital psychiatrique de la ville [11]. Son destin bascule en mai 1942. Alors qu'elle tente de récupérer une valise perdue lors d'un voyage pour assister aux funérailles de sa mère Lydie, fille du propriétaire Kuntz du Grand-Hôtel du Hohwald [7], elle est arrêtée à Vierzon pour avoir franchi la ligne de démarcation sans autorisation [3]. Cet événement va la précipiter dans l'abîme de la déportation.

"Amie des Juifs" : un acte de courage et de défi

Emprisonnée à Bourges, elle prend la défense d'une famille juive maltraitée par des soldats allemands [4]. « Très bien disent les Allemands. Puisque vous défendez les juifs, vous partagerez leur sort » [11].

Elle écrit « ces rafles qui nous bouleversaient » ou « ne pouvant rester passive, j’ai manifesté mon indignation » [9]. Profondément indignée par le port de l'étoile jaune, elle décide de s'en fabriquer une en papier, par solidarité. Ce geste de défi lui vaut d'être qualifiée d'"Amie des Juifs" [2], un titre infamant aux yeux des nazis, mais qui témoigne de son courage et de son humanité. Elle n'avait pas commis la moindre infraction formelle. On l'a sanctionnée pour avoir manifesté verbalement sa réprobation contre les mauvais traitements infligés aux juifs et pour avoir revendiqué leurs droits. Sa situation tient du paradoxe tragique. Elle ne sera en fait véritablement témoin du martyre juif qu'après avoir été appréhendée par les Allemands. [6]

Adélaïde s’oppose au Dr Mengele à Auschwitz-Birkenau !

Commence alors un long calvaire qui la conduit d'abord dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, où elle est témoin de la déportation des enfants juifs [4]. Le 24 janvier 1943 elle arrive à Auschwitz-Birkenau où elle est tatouée du numéro 31 802 [11]. Affectée comme médecin au « Revier », lieu où l’on rassemblait les malades, elle refuse catégoriquement de participer aux expériences médicales inhumaines menées par les médecins nazis [4], notamment le tristement célèbre docteur Mengele. Elle écrit : « Je ne puis m’empêcher de lui dire que personne n’avait le droit de disposer ainsi de la vie des gens » [9].

En avril 1943, Adélaïde Hautval est transférée au bloc 10 à Auschwitz [11]. Elle est chargée d'assister les "expériences médicales" sur des détenues juives, menées par les médecins allemands, en particulier sur la stérilisation et la détection du cancer du col de l'utérus. En novembre 1943, Haïdi a attrapé à son tour le typhus. Elle est restée longtemps malade, et n'a pu reprendre son service qu'en février-mars 1944 [11].

Ravensbrück : la poursuite de son engagement

En août 1944, elle est transférée au camp de Ravensbrück, où elle continue son travail de médecin avec un dévouement sans faille [4]. Après la libération du camp en avril 1945, elle choisit de rester pour s'occuper des malades trop faibles pour être déplacés [1]. Son refus est sans appel, malgré les menaces et les pressions [11]. Adélaïde Hautval choisit la résistance et la défense de la dignité humaine, quitte à mettre sa propre vie en danger. Elle utilise son savoir médical pour soulager les souffrances des déportés [4], les protéger et tenter de les sauver de la mort [2]. Son courage force l'admiration, même parmi ses bourreaux [3].

Adélaïde dira à propos des camps : « La psychologie des camps de concentration ! Nul qui n'y a pas passé ne peut s'en représenter la sombre et inquiétante complexité. Un torrent qui charrie de la boue, des remous irrésistibles, des plantes qui essayent de se retenir mais qui sont entraînées malgré elles et ça et là, seulement quelques rochers fermes qui représentent la sécurité, le soutient ». [11]

L'après-guerre : reconnaissance et silence

De retour en France le 25 juin 1945 [1], Adélaïde Hautval reprend son activité de médecin scolaire et s'installe à Groslay (95) [2]. Elle est faite chevalier de la Légion d’honneur en décembre 1945 [11]. Le 18 mai 1965, elle est reconnue Juste parmi les Nations [13], l'une des premières Françaises à recevoir cette haute distinction décernée par l’Etat d’Israël à celles et ceux qui ont mis leur vie en danger pour sauver des Juifs [5] [2].

Marie-Claude Vaillant-Couturier, résistante communiste déportée dans le même convoi dit des « 31000 » que Haïdi, témoignera devant le tribunal militaire international de Nuremberg, le 24 novembre 1945 : « en ce qui concerne les expériences faites sur les femmes, je suis au courant parce que mon amie, la doctoresse Haïdi Hautval…/… a travaillé pendant plusieurs mois dans ce bloc pour soigner les malades, mais elle a toujours refusé de participer aux expériences. On stérilisait les femmes, soit par des piqûres, soit par opérations, ou également avec des rayons. …/… Il y avait parmi les opérées une forte mortalité ». [10]

Ironiquement, elle devra attendre 1963 pour obtenir une carte de déportée résistante [4], une reconnaissance tardive de son engagement pendant la guerre. Malgré les honneurs et la reconnaissance, Adélaïde Hautval reste profondément marquée par les atrocités dont elle a été témoin.

Une fin de vie marquée par la maladie

Souffrant d'une maladie dégénérative qui l'empêche progressivement d'écrire et de jouer du piano [2], deux passions qui l'ont aidée à surmonter les épreuves, elle décide de mettre fin à ses jours le 12 octobre 1988 [11].

Un héritage pour les générations futures

Adélaïde Hautval nous laisse un héritage précieux : celui du courage, de l'intégrité morale et de la résistance face à la barbarie. Elle publie un livre, en 1946 : « Médecine et crimes contre l’humanité » [12]. Son histoire, longtemps restée dans l'ombre, est mise en lumière par des historiens et des chercheurs, notamment grâce au livre "Docteur Adélaïde Hautval" de Georges Hauptmann et Maryvonne Braunschweig [3]. Son témoignage, poignant et éclairant, nous rappelle l'importance de la défense des droits humains et de la lutte contre toutes les formes d'oppression.

Un hommage à travers la France

Le souvenir d'Adélaïde Hautval, femme médecin, née au Hohwald, qui a traversé l'enfer des camps de concentration nazis, doit rester gravé dans nos mémoires comme un symbole indéfectible de courage, d'intégrité morale et d'humanité.

Plusieurs communes ont choisi d'honorer la mémoire d'Adélaïde Hautval en lui dédiant des lieux et des institutions [1] :

Le Hohwald : sa commune natale a érigé en 1991 une fontaine en son hommage, à l’initiative du maire Gérard Hazemann
Strasbourg : une rue porte son nom depuis 1993
Bourges : une rue porte son nom
Blaye (33) : une rue porte son nom
Sélestat : un square porte son nom
Groslay : une plaque commémorative est apposée sur le mur de sa maison
Rothau : une plaque commémorative a été apposée en gare
Guebwiller : un cercle et une école portent son nom
Villiers-le-Bel : l'hôpital porte son nom depuis 2015
Ferrette : le collège porte son nom depuis 2020
Marlenheim : l'église protestante porte son nom depuis 2022
Illkirch-Graffenstaden : la nouvelle école porte son nom depuis 2023

Fontaine - Le Hohwald

avec la devise d'Adélaïde Hautval :

"Pense et agis selon les eaux claires de ton être"

Sources :

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ad%C3%A9la%C3%AFde_Hautval

[2] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/amie-des-juifs-6656622

[3] https://c.lalsace.fr/actualite/2017/03/26/adelaide-hautval-l-amie-des-juifs Hervé de Chalendar

[4] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0755498215003504 Bruno Halioua et Georges Hauptmann - Adélaïde Hautval [1906–1988] : une personnalité médicale exemplaire

[5]  https://fr.wikipedia.org/wiki/Juste_parmi_les_nations

[6]  http://www.judaisme-alsalor.fr/perso/philosem/hautval.htm

[7] Le Hohwald, Promenade intemporelle – Maria Graziana Gewinner – Patarnello – Edition Mémoires de vies

[8] https://museeprotestant.org/notice/adelaide-haas-hautval-1906-1988/

[9] https://www.cercleshoah.org/spip.php?article611

[10] Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international de Nuremberg – 14/11/1945 – 1er octobre 1946 – Bibliothèque de France – 3 7513 00073901 0

[11] https://adirp37-41.over-blog.com/2019/02/adelaid-hautval-l-amie-des-juifs.html

[12] Hautval Adélaïde, Médecine et crimes contre l’humanité, Témoignage manuscrit "Déportation" écrit en 1946, revu par l'auteur en 1987. Présentation et postface d'Anise Postel-Vinay, Editions Actes Sud, Paris, 1991

[13] https://www.yadvashem.org/fr/justes/statistiques.html

 

Photos : sur le net (différentes pages ci-dessus) - photos couleur actuelles : l'auteur

Autre source conseillée :

Adélaïde Hautval, une conscience face au mal - Le destin d’un médecin chrétien dans l’enfer d’Auschwitz de Sabine Faivre – Edition L’Harmattan

Adélaïde Hautval par Georges Hauptmann- Génia Goldgicht-Obœuf et Anise Postel-Vinay, témoins.

Rester Humain par Adélaïde Hautval Préface de Patrick Cabanel, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études.

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